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Conduite autonome : vers la fin de l’assurance auto ?


Réseau sur autoroute au coucher du soleil

La conduite autonome de niveau 4 est en train d’arriver. Là où le niveau 3 exigeait de l’automobiliste qu’il puisse si nécessaire reprendre la main, ces nouveaux véhicules se chargeront de tout. Avec, en point de mire, la promesse à terme d’une sinistralité tendant vers zéro et la disparition corrélative de l’assurance auto.


C’est du moins ce que titrait il y a quelques jours un article de l’Insurance Journal. S’appuyant sur une étude menée par Morningstar**,** entreprise américaine de gestion d'actifs*,* la journaliste Kimberly Tallon détaillait un scénario de diffusion rapide des véhicules à conduite autonome de niveaux 4 et 5. Ils pourraient compter pour 60 % du parc mondial dès 2044, rendant « l’assurance auto individuelle largement obsolète ».

Une étude sérieuse, incontestablement, mais qui semble négliger une chose. Une petite chose, assez évidente, et qui est ici de grande importance : l’assurance auto, ce n’est pas que de la collision.


C’est aussi la couverture de nombreux autres risques contre lesquels la meilleure IA embarquée se trouvera fort démunie :


  • le bris de glace (1,73 md d’euros d’indemnisations l’an passé) ;

  • des évènements naturels tels les tempêtes, les inondations ou la grêle (1,6 md en 2022) ;

  • le vandalisme ;

  • les incendies ;

  • le vol (580 millions en 2023).

Et quand bien même le risque de collisions diminuerait, celles-ci resteront inévitables :

  • Il est certains cas de figure dans lesquels la technologie, si perfectionnée soit-elle, n’y peut juste rien. Imaginez un cerf traversant l’autoroute pile devant un véhicule lancé à 130 km/h. Même si la machine a une vitesse de détection et des capacités de freinage ou d’évitement qui surpassent de loin celles d’un humain, l’issue demeurera inchangée.

  • Ce n’est pas parce qu’une voiture est équipée de dispositifs de conduite autonome que ce mode de conduite est, en conditions de circulation, forcément activé.

  • L’autonomisation repose sur un arsenal technique complexe (capteurs, caméras, hardware, software, etc.). On peut imaginer que la défaillance de l’un des maillons de la chaîne rende inopérant le système dans son ensemble. Une problématique qui risque de s'avérer prépondérante à mesure que le parc roulant, constitué de véhicules niveau 4 et 5, viendra à prendre de l’âge.



Et puis, avec ce nouveau paradigme, un problème se pose tout de même : lorsque le dispositif a des ratés et devient une source de danger, qui est responsable ? L’automobiliste ou le constructeur ? Et qui paye ? L’assureur ou le constructeur ?

Le cadre juridique tend à se préciser sur le sujet, puisque la responsabilité du constructeur est directement engagée dès lors qu'un sinistre a lieu alors que le système autonome est utilisé dans les conditions prévues. Pour autant, la loi exige qu'un conducteur puisse rester maitre de son véhicule en toutes circonstances… En pratique, les choses pourraient donc ne pas être aussi simples à trancher, car il faudra investiguer en détail chaque situation, surtout si les enjeux financiers sont élevés (dommages corporels…).



Quoi qu'il en soit, nous assistons au transfert d’une partie du risque de l’assureur traditionnel vers le constructeur.



Dans la projection d'un parc roulant largement composé de véhicules autonomes, on peut d’ores et déjà s’aventurer à esquisser plusieurs modèles, selon le type de rapport qui s’établira entre ces deux acteurs :

  • Un assureur « classique » qui couvre comme aujourd’hui l’ensemble des risques, mais qui, juridiquement, serait au besoin en mesure de se retourner vers le constructeur.

  • Un constructeur qui proposerait un contrat d’assurance, incluant en supplément toutes les garanties non liées à l’automatisation de la conduite. Mais difficile de penser qu’il pourrait s’en acquitter sans être au final adossé à un assureur classique (quelle que soit la forme de cette relation : captive, partenariat, etc.). En tout cas, la couverture de ce risque juridique inhérente au produit ne sera pas gratuite ; son coût sera également compris dans celui du véhicule lui-même.


On peut légitimement espérer que nous aurons à faire face à de moins en moins d’accidents et on doit s’en réjouir. Mais de là à dire que nous finirons par les éradiquer, il y a un pas que je ne franchirai pas.


En revanche, ce qui interroge davantage, c’est la complexité de gestion qu’occasionneront ces futurs sinistres. Non tant du point de vue de la réparabilité, que de celui de la recherche des causes et des responsabilités. À qui la faute ? Au constructeur, au conducteur, à l'équipementier, au professionnel en charge de l’entretien du véhicule… Voilà un cadre qui ouvre la voie à une surenchère d’expertises et de contre-expertises pour tenter de comprendre ce qui s’est passé et de répondre à LA grande question : qui se retrouvera, à la fin des fins, à devoir signer le chèque…



On voit bien, dans pareil contexte, poindre le risque d’une dégradation majeure de l’expérience des assurés, embarqués bien malgré eux dans d’exaspérantes batailles juridiques. Il suffit de regarder du côté de l’assurance dommages-ouvrage en habitation pour se donner une idée des délais interminables et du nombre d’expertises nécessaires avant de déterminer les responsabilités des uns et des autres, dès lors que les enjeux financiers sont élevés.

L’obligation déjà en vigueur d’équiper nos véhicules de « boîtes noires » (GSR2) démontre l’anticipation de ces difficultés.


Même si des dispositifs existent pour indemniser "rapidement" les assurés et laisser le soin à l'assureur de se retourner ensuite vers qui bon lui semble, on peut imaginer qu'en pratique, de nombreuses situations s'avèreront complexes à gérer.



Au final, l’automatisation de la conduite ne semble pas signer de manière aussi évidente l’arrêt de mort de nos chers assureurs auto.

La baisse du risque de collision pourrait être proportionnelle à la hausse de la complexité de gestion de ces sinistres.

Certains prédisent l’obsolescence du modèle assurantiel auto actuel d’ici 20 ans. Les mêmes, peut-être, qui annonçaient la démocratisation des voitures volantes pour l’an 2000.


Je parierais plutôt sur l’émergence d’un modèle qui, tout en permettant de réduire la fréquence des sinistres, imposera une gestion plus complexe et plus onéreuse, tant d’un point de vue technique que juridique.

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